Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

samedi 6 juin 2015

J.-F. Perregaux, un banquier suisse au Panthéon


Espion à la solde des Anglais, girouette politique, il fut régent de la Banque de France!

Le banquier neuchâtelois Jean-Frédéric Perregaux. 
Image: BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE ET UNIVERSITAIRE DE NEUCHÂTEL



1808

Le 22 mai de cette année-là, 207 ans avant la panthéonisation par François Hollande de quatre héroïnes et héros de la Résistance, c’est la dépouille d’un dignitaire pour le moins ambigu que la «patrie reconnaissante» inhume solennellement sous la coupole de la rue Soufflot. Qui était ce Jean-Frédéric Perregaux, né en 1744 à Neuchâtel, que les Parisiens ont toujours surnommé «notre banquier suisse», alors qu’il est assimilé à eux depuis plus de trois décennies? Un mystérieux personnage à front trapézique et sourcils noirs, et dont la biographie en zigzag révèle un caractère calme, mais obstiné.

Aîné de 7 enfants, il est le fils d’un officier du Val-de-Ruz qui fut, sous Louis XV, au service de la France. D’emblée, il se passionne pour la finance, qu’il étudie d’abord à Mulhouse, où il apprend l’allemand, puis à Amsterdam et surtout à Londres, où il s’affideà des diplomates et des aristocrates anglais qui conserveront sur lui une emprise durable. Perregaux n’a que 21 ans quand il s’installe en 1765 à Paris, comme commis d’agent de change d’une banque suisse, puis comme employé du Genevois Jacques Necker, alors directeur général du Trésor royal avant de devenir ministre de Louis XVI. En 1781, il fonde à Paris son propre établissement en s’associant avec un Londonien d’origine vaudoise, Isaac Panchaud, et un certain Gumpelzhaimer, homme à réseaux multiples.

Notre Neuchâtelois peut tisser dès lors sa toile à travers toute l’Europe, et devient vite très riche. Son officine de la rue Saint-Sauveur, dans le IIe arrondissement, est assaillie par des quémandeurs de la haute société, nobles ou notables, mais surtout par les femmes les plus belles, les plus spirituelles et les plus dépensières de la monarchie française à ses derniers jours. Perregaux, qui avait épousé une amie de Mme Vigée-Lebrun, la portraitiste de Marie-Antoinette, la trompa ouvertement avec des danseuses de l’Opéra: la Duthé, la Clairon, la Guimard. Autant d’étoiles fulgurantes. C’est de la dernière nommée qu’il reçut les meilleures leçons de parisianisme: elle lui fit acquérir sa propre demeure, un hôtel splendide de la Chaussée-d’Antin, à deux pas de sa banque, et où il installa non seulement ses effets personnels mais ses bureaux de change, et tous ses mandataires commerciaux.

Puis il y eut le grand chambardement de 1789, et la chasse aux aristocrates. «Quand la Révolution survint, écrit l’historien G. Lenotre, tout ce petit monde de cigales qui sarabandait autour du banquier se trouva fort dépourvu. Il n’imita pas la fourmi, et dans les mauvais jours, vint généreusement en aide à ces femmes auxquelles il devait beaucoup de reconnaissance.» Sous la Terreur, Perregaux sera peu inquiété, une seule fois emprisonné pour corruption de gendarme, mais aussitôt relâché. Pourquoi? Les mêmes conventionnels coupeurs de têtes apprendront que ce Suisse qui s’obstinait à ne pas s’enfuir avait partie liée avec l’ennemi anglais. Duquel il avait reçu beaucoup d’argent destiné à des individus «chargés de souffler le feu» aux révolutionnaires français en les poussant «au paroxysme». Et même les diviser… Il n’en fut pas pour autant poursuivi.

Sans jamais afficher des opinions personnelles, par écrit ou en public, Perregaux deviendra le banquier du Comité de salut public et des révolutionnaires les plus radicaux, qui se faisaient appeler les «exagérés», représentant les sans-culottes, et pourfendeurs du clergé traditionnel. Il siégera également au comité des finances de l’Assemblée constituante.

Le Neuchâtelois, ne cessant de récolter des fonds qui lui parvenaient de tous les continents, fut épargné par les Thermidoriens et le Directoire. Et c’est lui qui financera le coup d’Etat du 18 Brumaire qui porta Bonaparte au pouvoir. En échange, il obtiendra du premier consul le droit de fonder la Banque de France, en 1800, à partir de financements, et dont il sera le premier régent. Avec, en sus, le privilège de l’émission monétaire. Il exigea aussi la peine de mort pour les contrefacteurs.

Jean-Frédéric Perregaux ne resta pas longtemps fidèle à Napoléon Bonaparte. S’associant au «traître Talleyrand», dont il épousera la disgrâce, il retourna une fois encore sa veste, pour assurer aux finances de sa banque une pérennité tout helvétique.

Avec le titre de «comte de Perregaux», il mourra le 17 février 1808, à l’âge de 64 ans, après des crises de délire – dues peut-être à la petite vérole – dans son magnifique château de Viry-Châtillon. Un bâtiment situé à 21 km au sud de Paris, provenant d’une duchesse de Mazarin puis d’un comte de Sartines qui le lui avait vendu sous le Directoire.