Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

mardi 9 juin 2015

Regardez-moi tous ces voiriens!


Mirka Federer en tribune: le charmant exemple de distraite numérique. © DR



A Roland-Garros ou dans les concerts, ils regardent plus souvent leur portable que le spectacle. Ce sont des spectateurs d’un genre nouveau.

Qu’est-ce que vous croyez! La semaine dernière, comme vous, j’ai regardé un peu le tennis. Et comme vous, j’ai vu le camion Wawrinka se transformer en convoi exceptionnel balayant tout sur son passage. Mais ce que j’ai vu aussi, en suivant une partie ou l’autre à la télévision, c’est que les autres étaient toujours là. Voui, voui, les autres. D’année en année, dans les tribunes de Roland-Garros, ils ont même l’air d’être toujours plus nombreux.

Ils? Ce sont les spectateurs qu’on aperçoit parfois à l’écran et qui ont les yeux rivés sur leur téléphone portable. Tous absorbés par leur smartphone et visiblement trop occupés à lire ou à écrire des messages pour porter attention au spectacle. Tous à faire pareil, en somme, que Mirka Federer pendant les matches de son mari.

Quoique Roger Federer a été aussi fortiche dimanche à Bâle au Parc Saint-Jacques: lui a suivi la finale de la Coupe de Suisse tout en regardant Wawrinka-Djokovic sur son smartphone. Mais là n’est pas la question…

Mon gadget, mon maître

La question, c’est que la technologie vient d’enfanter un nouveau type de spectateurs: ceux qui ont payé leur place pour assister à un spectacle qu’ils regarderont seulement si leur portable et leur messagerie le leur permettent. Ou qui en filmeront des images sans quitter leur appareil des yeux. Quelle bizzarerie de regarder autre chose que ce qu’on est censé venu voir! Et quelle idée d’être esclave de ces gadgets…

Bon, au tennis, cela peut à la rigueur se concevoir: si on assiste à un match féminin, c’est vrai qu’il faut bien s’occuper un peu. Mais le tennis n’est pas seul à attirer ces spectateurs d’un genre nouveau. Les distraits numériques ont envahi depuis longtemps les stades de football, les sites touristiques, les aires de concerts et même les salles de cinéma ou de théâtre.

Ils ne regardent rien et, du coup, on ne voit qu’eux. Ils deviennent si nombreux et prennent tellement de place, partout, qu’il faudrait dans l’idéal leur donner un nom. De mon côté, je propose «voirien». Le mot ressemble à «vaurien» et risque de paraître peu flatteur, mais désolé. Je n’ai pas trouvé mieux que ça: les voiriens.

Le voirien m’épate. C’est ce garçon ou parfois cette fille qui monte jusqu’au Machu Picchu non pour découvrir et pour admirer le Machu Picchu. mais pour faire savoir à son monde qu’il ou qu’elle s’y trouve. A priori, c’est se donner beaucoup de mal pour peu d’émotions. En même temps, pourquoi pas?

Le voirien ne sait pas ce qu’il rate, en général, mais à chacun ses plaisirs. Après tout, on peut très bien vivre sans jamais lever le nez devant les beautés de ce monde. Ce n’est pas interdit. De toute façon, vu la vitesse à laquelle il prospère et s’installe sur divers gradins pour faire son courrier électronique, le voirien n’a pas fini de nous étonner.

Dieu lui-même, s’il existe, risque d’être surpris. Ben oui! Il suffit d’imaginer le voirien le jour du Jugement dernier: ce sera encore le genre de client capable, au moment de comparaître, de demander au Patron de bien vouloir faire un selfie avec lui.

Ou alors le voirien sera simplement penché sur son smartphone, pendant que Dieu s’adresse à lui, et pianotera avec un sourire en coin un SMS destiné à un pote: «Momo, j t’jure tu croiras jamais où ch’uis et avec ki ch’uis. Te laisse deviner. Lol». Et le pauvre, guettant la réponse de Momo, n’entendra même pas la sentence…

Ce grand vide numérique dans lequel tombe tant de monde, désormais, ne serait-ce pas déjà un peu l’enfer? Pour ma part, je n’ai rien reproché à nos cousins les voiriens. Le seul truc, c’est que je ne les comprends pas. Je ne pige rien à ce goût de la platitude connectée, à cette dépendance aux gadgets, à cette cécité devant les feux d’artifice les plus simples, à cette façon d’être là sans jamais y être tout à fait.

Pourquoi aller là pour ça?

Pour revenir au tennis, je ne comprends pas non plus les spectateurs qui n’en ont que pour leur portable pendant que la terre tremble sous les coups de Wawrinka, de Djokovic ou de Murray. Lire ou écrire des messages, très bien, mais pourquoi là et à ce moment-là? Pourquoi aller à Roland-Garros ou à Wimbledon pour faire ça? Voyons, on peut très bien relever ses messages en restant chez soi, en s’installant sur un banc public ou à la table d’un bistrot.

Et puis, quel gaspillage! Le tennis traverse une sorte d’âge d’or, il n’a jamais produit autant d’étincelles qu’aujourd’hui. Le spectacle vole à haute altitude et ses champions font rêver. Si on aime un peu le tennis, tout cela ne peut pas se regarder d’un œil blasé. Le voirien ne se rend pas compte, mais d’innombrables passionnés donneraient cher pour être assis à sa place.

Pensez à un gosse

Allez, l’ami, un peu de cœur: l’an prochain, plutôt que d’aller à Roland-Garros pour tapoter sur votre machin, restez à la maison. Suivez le tournoi sur votre tablette et offrez votre entrée à quelqu’un. A un gosse, par exemple, un de ceux qui ont des balles jaunes et des étoiles plein la tête. L’enfant ne perdra pas une miette du spectacle, lui, et vous aurez fait un heureux!

Aïe, moi qui n’ai rien contre les voiriens, voilà que je suis au bord de leur faire la leçon de morale! Qui suis-je pour avoir tant de prétention? Oh! juste un chroniqueur ronchon venant d’un autre monde. Un monde où il suffisait d’ouvrir les yeux pour voir, un monde où on ne laissait pas à des portables le soin de regarder les choses à notre place.

Bref, telle est mon excuse, je suis un esprit simple qui vient de la galaxie Simplicité. Et ce qui me saute aux yeux, au fur et à mesure que j’avance dans le meilleur des mondes virtuels, c’est que le progrès n’en est pas toujours un.

Pascal Bertschy