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jeudi 22 février 2018

Au XVIIIe siècle, les riches anglais faisaient déguiser les pauvres... pour décorer leur jardin


Portrait du poète John Milton (1608-1674)


Il y a plus de 300 ans, la mode pour les Britanniques les plus fortunés consistait à posséder… un ermite. Il s’agissait souvent d’hommes pauvres qui étaient payés pour se déguiser en ermite, vivre dans de petites cahutes et déambuler dans les jardins de leurs richissimes propriétaires.

Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la révolution industrielle bat son plein en Grande-Bretagne et de nombreux écrivains, peintres et nobles appartenant au mouvement romantique fustigent cette modernisation galopante.

Des poètes reconnus comme John Milton et William Wordsworth ont vanté les vertus de la solitude et de l’anti-matérialisme dans leurs écrits, et vivre en ermite devient rapidement un symbole de l’idéal romantique… bien que peu des partisans de ce mode de vie soient disposés à l’expérimenter eux-mêmes.

Durant cette même époque, une tendance consistant à bâtir des « folies architecturales » se développe chez les britanniques les plus riches. Il s’agit généralement de constructions élaborées purement décoratives, parmi lesquelles on retrouve des temples romains, des pyramides égyptiennes, des grottes et des ermitages.

Ces ermitages sont généralement de taille modeste. Celui de la propriété d’Hagley Hall dans le Worcestershire s’apparente à une grotte de pierre recouverte de racines, de mousse et de feuillage, à l’intérieur de laquelle on retrouve un poème de Milton placardé au mur.

La Grande-Bretagne connait de profonds bouleversements économiques et industriels durant la seconde moitié du 18e siècle


D’autres proposent un décor plus macabre, comme celui de la propriété de Marston dans le Surrey, entouré d’une clôture d’os surmontée de crânes de chevaux. Dans tous les cas, ces ermitages abritent un crâne humain décoratif invitant à la contemplation et à la réflexion.

Bientôt, posséder ce genre de décor ne suffit plus pour se démarquer. C’est ainsi que nait la tendance consistant à acquérir un « ermite de jardin », de préférence barbu et négligé, afin qu’il vive sur sa propriété.

Comme vous pouvez l’imaginer, trouver un véritable ermite et le convaincre de quitter sa forêt pour venir déambuler dans son jardin n’est pas chose aisée. La solution la plus simple consiste donc à embaucher un paysan du village le plus proche pour tenir ce rôle.

Ironiquement, seuls les britanniques les plus fortunés peuvent se permettre cette étrange fantaisie, pourtant censée symboliser l’intérêt du propriétaire pour la spiritualité et son aversion pour le matérialisme.


Portrait de Charles Hamilton (1753–1828), l’un des possesseurs d’ermites les plus réputés


Ces derniers se contentent la plupart du temps de publier une annonce dans le journal local, bien que dans de rares cas, ce sont les paysans eux-mêmes qui proposent leurs services, comme en témoigne cette coupure du London Courier datant de 1810 :

« Jeune homme souhaitant se retirer du monde et vivre comme un ermite dans un endroit convenable en Angleterre. Prêt à s’engager avec n’importe quel noble ou gentleman désireux d’en posséder un. »

Les hommes sont généralement embauchés en tant qu’ermites d’agrément pour une durée de sept ans. L’homme politique britannique Charles Hamilton publie d’ailleurs une annonce très détaillée au sujet du profil qu’il recherche :

« L’ermite viendra habiter sur les terres boisées de la propriété de Painshill dans le Surrey. Il lui sera fourni une bible, des lunettes, un matelas, un oreiller, un sablier, de l’eau et de la nourriture. Il devra porter une robe de camelot et ne jamais se couper les cheveux, la barbe ou les ongles. Il ne devra pas non plus s’éloigner des limites de la propriété de M. Hamilton ou adresser la parole aux domestiques. »


L’ermitage de la propriété de Painshill


Hamilton offre 700 guinées (environ 500 000 euros) pour le « poste », mais précise que l’ermite ne recevra rien s’il ne respecte pas scrupuleusement les termes du contrat de sept ans. L’homme qu’il embauche finalement ne tient pas trois semaines : il est congédié après avoir été surpris en train de boire une pinte de bière au pub du coin.

Trouver la perle rare s’avère compliqué, à moins que vous soyez la reine d’Angleterre en personne. En 1730, la reine Caroline, épouse du roi George II, embauche Stephen Duck, un poète particulièrement torturé, afin qu’il vienne vivre dans son ermitage de Richmond Park. Celui-ci devient l’un des ermites les plus célèbres de l’ère romantique.

Duck se laisse pousser la barbe et écrit de la poésie. Il a également accès à la bibliothèque personnelle de la reine et reçoit des milliers de visiteurs chaque année (pas exactement la définition d’une vie d’ermite). Malgré cette existence paisible, l’inconsolable poète finit par se suicider en 1756 en se jetant dans la Tamise.

Fatigués par les frasques de leurs ermites d’ornement, certains propriétaires les remplacent par des mannequins de cire. Dans l’incapacité de trouver un remplaçant valable au Père Francis, mort après avoir vécu 14 ans sur sa propriété, un certain John Hill va même plus loin en ayant recours à une marionnette.

Hill demande à l’un de ses domestiques de lui construire une réplique grandeur nature du Père Francis et engage un homme pour se tenir accroupi derrière la marionnette. Chaque fois qu’un visiteur approche de sa cahute, ce dernier déclame de la poésie et fait bouger la bouche et le corps du pantin.

Il faut attendre la fin de l’ère romantique, vers 1850, pour que l’intérêt pour les ermites d’ornement commence à décliner. Cette pratique est peu à peu oubliée, mais de nombreux ermitages, témoignages de cette époque révolue, sont conservés. En 2004, l’artiste David Blandy annonce sur son site qu’il va se retirer dans l’ermitage de la propriété de Painshill Park et y vivre reclus, mais il ne tient pas plus de quelques semaines.

Yann Contegat