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dimanche 18 mars 2018

Les secrets de l’invulnérable Vladimir Poutine


Apparu presque au même moment que «Le Temps», le président russe n’a plus quitté le devant de la scène. Alors qu’il a indéniablement redressé la Russie, son autoritarisme s’est accentué et il fait école un peu partout dans le monde. Les Russes s’apprêtent à le réélire pour un quatrième mandat ce dimanche



Quel que soit le jugement qu’on puisse porter sur le bilan de Vladimir Poutine après vingt ans passés aux commandes de la Russie, il faut lui reconnaître au moins une qualité: celle d’exceller à consolider et à conserver son pouvoir.

On a beaucoup dit de lui qu’il est un bon tacticien, mais pas un stratège: il réagit à une conjoncture plus qu’il ne maintient un cap fixe. C’est un homme pragmatique, connaissant l’histoire russe sur le bout des doigts (pour éviter de reproduire les erreurs de ses prédécesseurs), rompu aux techniques de manipulation acquises durant ses seize années passées au KGB.

Agé aujourd’hui de 65 ans, il va, au terme d’élections présidentielles soigneusement orchestrées, être reconduit pour un quatrième mandat jusqu’en 2024. Il a déjà régné plus longtemps que Leonid Brejnev et, au terme de son mandat, dépassera Joseph Staline avec vingt-cinq années au pouvoir. Il aura alors 71 ans. Si sa santé le lui permet, il restera probablement à la tête du pays – même si la Constitution russe interdit plus de deux mandats consécutifs. Plus le temps passe, plus la concentration de pouvoir entre ses mains se fait importante, et plus l’idéologie officielle légitime cet objectif.

«Aucun avenir si nous réduisons les libertés civiles et de la presse»

En 2000, fraîchement installé au pouvoir par son prédécesseur Boris Eltsine, il professait un attachement aux valeurs démocratiques. «Je suis profondément persuadé que nous ne pouvons pas avoir de développement et que le pays n’aura aucun avenir si nous réduisons les libertés civiles et de la presse. C’est simplement ma profonde conviction. C’est l’institution la plus importante garantissant que l’Etat ne retournera pas au totalitarisme», expliquait-il dans un entretien télévisé.

L’eau a coulé sous les ponts. Vladimir Poutine se fait le héraut global du conservatisme. Orthodoxie, défense des valeurs traditionnelles, nationalisme, mission de protection des (intérêts) Russes et des orthodoxes partout dans le monde, culte de la victoire, nostalgie du système soviétique, attachement pour l’empire tsariste, mépris du libéralisme politique et phobie des changements de régime… C’est plus une posture syncrétique qu’une idéologie contraignante. Les contours vagues de ce conservatisme, souvent ambivalent, permettent de brouiller les repères.

Il fait bombarder massivement la Tchétchénie et la Syrie, posant en défenseur des chrétiens, ce qui ravit l’extrême droite européenne. Mais il rappelle en permanence aux Européens leur dette envers l’URSS héroïque triomphatrice du fascisme au terme de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui plaît à la gauche européenne, également séduite par sa posture anti-américaine. Il cultive de bons rapports avec Israël (en particulier avec son premier ministre Benyamin Netanyahou), tout en laissant certains membres du personnel politique tenir des propos antisémites. Il appelle les démocraties à le rejoindre dans un très consensuel combat antiterroriste, qui s’avère être une excuse pour soutenir les pires régimes de la planète.

Rayonnement international

Ce sont des intérêts pragmatiques qui guident sa politique étrangère, articulés avec un impératif domestique: l’appétit de revanche des Russes sur l’effondrement de l’URSS. Déterminé dès le départ à rétablir la Russie au rang de superpuissance à parité avec les Etats-Unis, il s’oppose à toutes les interventions américaines et occidentales (Irak en 2003, Libye en 2011, Syrie depuis 2011), dénonce le bouclier antimissile américain en Europe, l’élargissement de l’UE et de l’OTAN.

Vladimir Poutine tend à incarner le pôle mondial de l’anti-américanisme, incluant toutes les sensibilités: nationalistes, néo-marxistes ou traditionalistes. «En matière de politique étrangère, Moscou a délaissé les pièges idéologiques du passé pour agir plus librement en soutien à tous les mécontents des institutions occidentales et de la pensée dominante. Pourquoi s’embêter à essayer de vendre une idéologie au monde alors que la Russie peut activement saper les idéologies et les vérités d’autres pays?» décrypte le commentateur politique Maxime Troudolioubov.

Verticale du pouvoir

Econome de ses mots, cachant adroitement son jeu, il prend soin de s’exprimer de manière consensuelle, laissant à ses subalternes la tâche de dire crûment les choses. Ses deux principaux conseillers en stratégie politique ont énoncé les axiomes du régime: «Poutine a été envoyé à la Russie par Dieu» (Vladislav Sourkov) et «Il y a Poutine et la Russie; sans Poutine, il n’y a pas de Russie» (Viatcheslav Volodine). Prononcé en 2014 par le vice-président de l’administration présidentielle d’alors, ce second axiome était un éclairage destiné aux «dirigeants occidentaux, qui ne comprennent pas l’essence de la Russie».

Au-delà de la flagornerie – devenue la norme – se détache effectivement l’essence du pouvoir russe, déjà totalement personnifié et qui tend vers l’absolutisme. Vladimir Poutine s’est attaché dès le début de son règne à anéantir les contre-pouvoirs et les institutions démocratiques: tous les partis politiques admis au parlement lui sont loyaux, le parlement lui-même est devenu une chambre d’enregistrement des lois conçues par l’administration présidentielle. Toutes les prérogatives de l’Etat sont soumises à l’exécutif. Les seuls groupes d’intérêt osant encore prendre des initiatives sont les clans coiffés par des intimes du président, tous issus du KGB et de Saint-Pétersbourg, parfois surnommés «Politburo 2.0».

Une légitimité fondée sur la popularité

Face aux clans, aux élites d’affaires, politiques et aux structures de force, il fonde sa légitimité sur un pilier central: sa popularité. Les fondations de ce soutien populaire ont fortement évolué au fil des mandats. Il a profité au début de son image de président jeune, énergique, ferme face aux indépendantistes tchétchènes comme aux oligarques, contrastant avec un Boris Eltsine malade et sous influence. Bien que captée par les oligarques, l’envolée du prix des matières premières fait ruisseler des pétrodollars sur les Russes: l’extrême pauvreté chute de 29 à 10% de la population, une classe moyenne émerge dans les villes. Poutine se fait le garant de la stabilité.

Lorsque les problèmes économiques émergent avec la crise financière de 2007 (effondrement du pétrole), il change de cheval. La politique étrangère prend le dessus sur l’économie et les affaires domestiques, laissées aux subalternes. La guerre de Géorgie (août 2008) donne à Vladimir Poutine l’occasion de narguer les Etats-Unis en écrasant leur allié géorgien. Annexant de facto deux régions géorgiennes, il devient le conquérant et fait frissonner les anciennes républiques. Sa cote de popularité s’envole: 86%.

Le pli est pris: puisque la stabilité économique n’est plus là, Vladimir Poutine sera le «rassembleur des terres russes» et le rempart contre les agressions extérieures. L’élargissement de l’UE, de l’OTAN, les «révolutions de couleur» sont décrites aux Russes comme un péril existentiel. Peu disposé à partager le pouvoir, il l’est en revanche à faire partager ses angoisses. La plus vive naît de Maïdan. Le basculement de l’Ukraine, pays très proche culturellement, lui fait craindre une contagion. Machiavélique, il annexe la Crimée et déclenche une rébellion armée dans le Donbass, creusant un profond fossé entre les deux pays et offrant aux Russes une revanche sur la désintégration de l’URSS. Sa popularité frôle les 90%. Pour contrebalancer la chute des revenus causée par l’isolement et la chute du pétrole, il accentue le sentiment de forteresse assiégée, se posant en défenseur ultime.

Lignes de défense médiatique

Ces postures successives font mouche grâce à un contrôle total des mass media (télévision, radios, journaux), lesquels le présentent exclusivement sous un jour favorable depuis dix-huit ans. Nulle autre personnalité n’a droit de près ou de loin à ce traitement «monarchique». Vladimir Poutine n’a jamais participé à aucun débat public, n’a jamais eu de comptes à rendre. Les voix critiques sont bannies de la télévision et ne peuvent s’exprimer que dans un petit nombre de médias constamment menacés de censure. En l’absence complète de concurrence politique, sa popularité est en grande partie une construction médiatique.

Même si la légitimité repose sur une illusion, le modèle fonctionne et fait des émules à travers le monde: Viktor Orban, Recep Tayyip Erdogan, Xi Jinping entre autres. Protégé par une double ligne de défense, bouclier médiatique à l’intérieur, nucléaire à l’extérieur, Vladimir Poutine paraît aujourd’hui invulnérable. Seul le temps semble pouvoir mettre fin à son règne.

Emmanuel Grynszpan